Il est essentiel de respecter le droit des femmes à décider librement comment nourrir leur enfant, sans subir de pression. La décision quant au mode d’alimentation du nourrisson est une décision personnelle, influencée par de multiples facteurs propres à chaque famille. Cette décision doit être prise dans un environnement exempt de culpabilisation et d’influence. Bien sûr, le consensus scientifique quant à l’importance de l’allaitement est limpide et les autorités de santé publique en encouragent la pratique, tel que le recommande l’Organisation mondiale de la Santé. Il faut reconnaitre que le revers à cette médaille est que cela puisse accroitre le sentiment de culpabilité chez les mères lorsque leur situation personnelle les amène à décider autrement ou à vivre un sevrage précoce non désiré.
Les récents témoignages de mères soulignant la pression pour allaiter mettent en lumière un problème plus large : la complexité des influences sur les décisions parentales, y compris celle du marketing des préparations commerciales pour nourrissons et des biberons. Ces témoignages renforcent l’urgence de règlementer ce secteur.
Car, si l’on est prompt à pointer du droit certaines pratiques du réseau de la santé au nom de la pression exercée sur les femmes, il y a une forme d’influence dont on ne parle pas : celle exercée par les multinationales de l’alimentation infantile. Elle est pourtant tout aussi présente, probablement beaucoup plus insidieuse, et rarement éthique.
Le marché des préparations commerciales pour nourrissons, extrêmement lucratif, est contrôlé par une poignée de multinationales. Les dépenses des familles pour l’achat de produits de substitution à l’allaitement sont évaluées à 56 milliards $ annuellement à l’échelle mondiale. De 5 % à 10 % du chiffre d’affaires des entreprises qui commercialisent ces produits est investi dans des stratégies de toutes sortes pour influencer les décisions des parents : allégations santé, distribution postale d’échantillons, mise en ligne de sites soi-disant informatifs, etc.
Se disant à l’écoute des besoins des mères, et des limites de leur corps, elles cherchent bien évidemment à semer un doute dans leur esprit, pour mieux leur vendre une solution à des difficultés qui pourraient autrement être surmontées, avec un soutien adéquat. Ces entreprises qui se disent souvent en faveur de l’allaitement misent sur l’introduction précoce de leurs produits.
Appliquer le Code international de commercialisation des substituts au lait maternel
Il y a plus de 40 ans, le Canada s’est pourtant engagé, avec 118 autres pays, à protéger les parents contre cette influence en devenant signataire du Code international de commercialisation des substituts au lait maternel de l’Organisation mondiale de la Santé. À ce jour, le Canada est un des seuls pays de l’OCDE à n’avoir adopté aucune loi ni aucun règlement canadien pour imposer l’application de ses dispositions, laissant l’industrie s’autoréguler. Force est de constater que cette approche est un échec.
Il est grand temps que le Canada donne suite à son engagement pris en 1981 et légifère pour encadrer ce marketing de façon stricte. Réduire la pression sur les femmes devrait commencer par éliminer la variable commerciale de cette équation complexe. En refusant de le faire, le gouvernement du Canada se range du côté de l’intérêt des entreprises commerciales plutôt que de celui de la population.
En fin de compte, nourrir son enfant devrait être une décision libre de toute pression et de culpabilité, en tenant compte des besoins et de la réalité de chaque femme et famille